Censure et loi de finances pour 2025
Les informations données par le Premier Ministre démissionnaire et le Président de la République sur les conséquences de la motion de censure sur l’adoption du budget pour 2025 sont malheureusement entachées d’inexactitudes.
La motion de censure ne concerne pas le projet de loi de finances
La motion de censure concernait la loi de financement de la sécurité sociale.
Aussi plusieurs des arguments développés concernant les effets négatifs de la censure, par exemple sur le barème de l’impôt sur le revenu sont dépourvus d’objet dans la mesure où la motion de censure a été votée à la suite de l’engagement de la responsabilité du gouvernement en application de l’article 49-3 de la Constitution sur le vote de la loi de financement de la sécurité sociale. Le projet de loi de finances pour 2025 n’est pas concerné et demeure en discussion.
À la suite de l’adoption de la motion de censure, rien n’impose un vote de la première partie du projet de loi de finances ni une loi autorisant la perception des impôts existants.
Aux termes du 4ème alinéa de l’article 47 de la Constitution ce n’est que si la loi de finances « n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début » de l’exercice suivant (ici 2025) que le gouvernement peut demander avant le 19 décembre au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts (c’est-à-dire ceux résultant de la précédente loi de finances, ici 2024) ce qui lui permet d’ouvrir par décrets les crédits correspondant aux « services votés » (c’est-à-dire, en pratique, les dépenses figurant dans le budget de 2024). Toujours sous la même condition de dépôt en temps utile, l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ouvre une seconde possibilité : le gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances.
Que faut-il donc entendre par dépôt « en temps utile » du projet de loi de finances ? Rappelons qu’aux termes du même article 47, l’Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans un délai de 40 jours puis, selon les circonstances, le Sénat dans un délai de 15 ou 20 jours et que le troisième alinéa de l’article 47 indique que si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours, le projet de loi de finances peut être mis en vigueur par ordonnance. En ce qui concerne la loi de finances 2024 dont le projet avait été déposé le 10 octobre, le Parlement avait jusqu’au 21 décembre pour se prononcer, ce qui laissait, si le gouvernement demandait un examen en urgence, huit jours au Conseil Constitutionnel pour statuer s’il était saisi. Le 30 décembre la loi pouvait donc être promulguée avant le début de l’exercice suivant.
La Constitution ne contraint nullement un gouvernement, quel qu’il soit (et notamment le successeur du gouvernement actuel) en cas de succès de la motion de censure visant le projet de loi de financement de la sécurité sociale d’adopter une position quelconque à l’égard du projet de loi de finances. À supposer même qu’une motion de censure ait été déposée à la suite de l’utilisation du 49 alinéa 3 pour cette loi de finances, cela n’aurait pas davantage contraint l’exécutif à demander au parlement l’autorisation de percevoir les impôts. Le projet de loi de finances aurait été considéré comme rejeté par la seule Assemblée, ce qui impliquait un retour au Sénat et la poursuite des travaux parlementaires jusqu’à la date fatidique du 21 décembre.
De même, l’annonce par le Président de la République, lors de sa dernière allocution télévisée, de la présentation d’un projet de loi spéciale autorisant la perception des impôts existants apparait à ce titre peu respectueuses des termes de la Constitution et de la loi organique. Dès lors que le projet de loi de finances a bien été déposé en temps utile au mois d’octobre, une loi autorisant la perception des impôts existants ne respecte ni l’article 45 de la LOLF ni l’article 47 de la Constitution. On peut dès lors s’interroger sur le sort que lui réserverait le Conseil constitutionnel s’il était saisi à l’issue de son adoption. Si le Conseil a déjà validé le recours à cette procédure fin 1979, le contexte était sensiblement différent, l’absence de loi de finances pour 1980 résultant de l’intervention du Conseil et de la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il avait prononcée le 24 décembre.
L’intérêt de la France commandait au gouvernement de rester passif
Rien n’imposait au gouvernement Barnier d’engager sa responsabilité au lieu de jouer la montre – et cela vaut aussi bien pour le projet de loi de finances que pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale dont le vote obéit, avec des délais moindres, à des règles voisines de celles que l’on vient de décrire. Comme on vient de le voir, il suffisait d’attendre l’expiration du délai de 70 jours prévus par la Constitution pour pouvoir mettre la loi de finances en vigueur (et d’attendre un délai de 50 jours pour pouvoir mettre la loi de financement de la sécurité sociale en vigueur au moyen d’ordonnances). En mettant en œuvre ces deux textes par ordonnances, le gouvernement se serait assuré qu’un cadre constitutionnellement établi aurait régi ces deux aspects essentiels de l’intervention de l’État pour l’année suivante. S’il avait été renversé et qu’un gouvernement ayant une autre orientation avait réuni une majorité parlementaire, rien ne l’aurait empêché d’amender ensuite ces textes par des lois de finances rectificatives – le débat se déplaçant alors sur la question de la rétroactivité de ces mesures et de leur contrôle juridictionnel… Cette situation n’aurait pas été idéale mais sans doute moins préjudiciable que la présente où le gouvernement a, pour ainsi dire, précipité sa chute – ce qui ne donne naturellement pas une image très encourageante aux investisseurs et aux marchés financiers.
Observons incidemment que même si cette volonté de jouer la montre avait été mal perçue par les parlementaires et que le gouvernement avait été renversé (pour ce motif ou pour un autre…) par une motion de censure, rien n’aurait interdit à ce même gouvernement, désormais démissionnaire, de mettre en œuvre la loi de finances par ordonnance. En effet, il paraît difficile de soutenir qu’un tel comportement ne relèverait pas de la gestion des affaires courantes des lors qu’il est expressément prescrit par la Constitution dans l’intérêt de la continuité de l’État.
Les ordonnances pourraient néanmoins faire l’objet de recours
La mise en vigueur de ces projets de lois par ordonnances a été critiquée au motif qu’elle serait antidémocratique. Mais après tout, il faut bien gouverner et les Français n’auraient sans doute pas été choqués par une telle méthode qui résulte de notre Constitution et est moins drastique qu’un recours à l’article 16 par le Président de la République, dont les conditions d’application n’apparaissent pas remplies.
Dans tous les cas, ces ordonnances qui sont formellement des actes administratifs peuvent faire l’objet de recours devant le Conseil d’État, et donner lieu à des QPC permettant au Conseil Constitutionnel d’en être, le cas échéant, saisi. La qualité du contrôle de la loi de finances n’en aurait pas nécessairement pâti dans la mesure où cette procédure inédite permet au contribuables de contester d’emblée la conventionnalité de cette norme financière alors qu’en temps ordinaire le contrôle de conventionnalité de la loi fiscale nécessite d’attendre ses éventuels textes d’application, ses commentaires administratifs ou les impositions établies sur son fondement.
Les informations données par le Premier Ministre démissionnaire et le Président de la République sur les conséquences de la motion de censure sur l’adoption du budget pour 2025 sont malheureusement entachées d’inexactitudes.
La motion de censure ne concerne pas le projet de loi de finances
La motion de censure concernait la loi de financement de la sécurité sociale.
Aussi plusieurs des arguments développés concernant les effets négatifs de la censure, par exemple sur le barème de l’impôt sur le revenu sont dépourvus d’objet dans la mesure où la motion de censure a été votée à la suite de l’engagement de la responsabilité du gouvernement en application de l’article 49-3 de la Constitution sur le vote de la loi de financement de la sécurité sociale. Le projet de loi de finances pour 2025 n’est pas concerné et demeure en discussion.
À la suite de l’adoption de la motion de censure, rien n’impose un vote de la première partie du projet de loi de finances ni une loi autorisant la perception des impôts existants.
Aux termes du 4ème alinéa de l’article 47 de la Constitution ce n’est que si la loi de finances « n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début » de l’exercice suivant (ici 2025) que le gouvernement peut demander avant le 19 décembre au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts (c’est-à-dire ceux résultant de la précédente loi de finances, ici 2024) ce qui lui permet d’ouvrir par décrets les crédits correspondant aux « services votés » (c’est-à-dire, en pratique, les dépenses figurant dans le budget de 2024). Toujours sous la même condition de dépôt en temps utile, l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ouvre une seconde possibilité : le gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances.
Que faut-il donc entendre par dépôt « en temps utile » du projet de loi de finances ? Rappelons qu’aux termes du même article 47, l’Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans un délai de 40 jours puis, selon les circonstances, le Sénat dans un délai de 15 ou 20 jours et que le troisième alinéa de l’article 47 indique que si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours, le projet de loi de finances peut être mis en vigueur par ordonnance. En ce qui concerne la loi de finances 2024 dont le projet avait été déposé le 10 octobre, le Parlement avait jusqu’au 21 décembre pour se prononcer, ce qui laissait, si le gouvernement demandait un examen en urgence, huit jours au Conseil Constitutionnel pour statuer s’il était saisi. Le 30 décembre la loi pouvait donc être promulguée avant le début de l’exercice suivant.
La Constitution ne contraint nullement un gouvernement, quel qu’il soit (et notamment le successeur du gouvernement actuel) en cas de succès de la motion de censure visant le projet de loi de financement de la sécurité sociale d’adopter une position quelconque à l’égard du projet de loi de finances. À supposer même qu’une motion de censure ait été déposée à la suite de l’utilisation du 49 alinéa 3 pour cette loi de finances, cela n’aurait pas davantage contraint l’exécutif à demander au parlement l’autorisation de percevoir les impôts. Le projet de loi de finances aurait été considéré comme rejeté par la seule Assemblée, ce qui impliquait un retour au Sénat et la poursuite des travaux parlementaires jusqu’à la date fatidique du 21 décembre.
De même, l’annonce par le Président de la République, lors de sa dernière allocution télévisée, de la présentation d’un projet de loi spéciale autorisant la perception des impôts existants apparait à ce titre peu respectueuses des termes de la Constitution et de la loi organique. Dès lors que le projet de loi de finances a bien été déposé en temps utile au mois d’octobre, une loi autorisant la perception des impôts existants ne respecte ni l’article 45 de la LOLF ni l’article 47 de la Constitution. On peut dès lors s’interroger sur le sort que lui réserverait le Conseil constitutionnel s’il était saisi à l’issue de son adoption. Si le Conseil a déjà validé le recours à cette procédure fin 1979, le contexte était sensiblement différent, l’absence de loi de finances pour 1980 résultant de l’intervention du Conseil et de la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il avait prononcée le 24 décembre.
L’intérêt de la France commandait au gouvernement de rester passif
Rien n’imposait au gouvernement Barnier d’engager sa responsabilité au lieu de jouer la montre – et cela vaut aussi bien pour le projet de loi de finances que pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale dont le vote obéit, avec des délais moindres, à des règles voisines de celles que l’on vient de décrire. Comme on vient de le voir, il suffisait d’attendre l’expiration du délai de 70 jours prévus par la Constitution pour pouvoir mettre la loi de finances en vigueur (et d’attendre un délai de 50 jours pour pouvoir mettre la loi de financement de la sécurité sociale en vigueur au moyen d’ordonnances). En mettant en œuvre ces deux textes par ordonnances, le gouvernement se serait assuré qu’un cadre constitutionnellement établi aurait régi ces deux aspects essentiels de l’intervention de l’État pour l’année suivante. S’il avait été renversé et qu’un gouvernement ayant une autre orientation avait réuni une majorité parlementaire, rien ne l’aurait empêché d’amender ensuite ces textes par des lois de finances rectificatives – le débat se déplaçant alors sur la question de la rétroactivité de ces mesures et de leur contrôle juridictionnel… Cette situation n’aurait pas été idéale mais sans doute moins préjudiciable que la présente où le gouvernement a, pour ainsi dire, précipité sa chute – ce qui ne donne naturellement pas une image très encourageante aux investisseurs et aux marchés financiers.
Observons incidemment que même si cette volonté de jouer la montre avait été mal perçue par les parlementaires et que le gouvernement avait été renversé (pour ce motif ou pour un autre…) par une motion de censure, rien n’aurait interdit à ce même gouvernement, désormais démissionnaire, de mettre en œuvre la loi de finances par ordonnance. En effet, il paraît difficile de soutenir qu’un tel comportement ne relèverait pas de la gestion des affaires courantes des lors qu’il est expressément prescrit par la Constitution dans l’intérêt de la continuité de l’État.
Les ordonnances pourraient néanmoins faire l’objet de recours
La mise en vigueur de ces projets de lois par ordonnances a été critiquée au motif qu’elle serait antidémocratique. Mais après tout, il faut bien gouverner et les Français n’auraient sans doute pas été choqués par une telle méthode qui résulte de notre Constitution et est moins drastique qu’un recours à l’article 16 par le Président de la République, dont les conditions d’application n’apparaissent pas remplies.
Dans tous les cas, ces ordonnances qui sont formellement des actes administratifs peuvent faire l’objet de recours devant le Conseil d’État, et donner lieu à des QPC permettant au Conseil Constitutionnel d’en être, le cas échéant, saisi. La qualité du contrôle de la loi de finances n’en aurait pas nécessairement pâti dans la mesure où cette procédure inédite permet au contribuables de contester d’emblée la conventionnalité de cette norme financière alors qu’en temps ordinaire le contrôle de conventionnalité de la loi fiscale nécessite d’attendre ses éventuels textes d’application, ses commentaires administratifs ou les impositions établies sur son fondement.